Sur le Curriculum Vitae de Paul Campion, on peut lire : Matte painter on Lord of The Rings : The fellowship of the rings, The Two Towers, The return of the King, Constantine & Sin City. Voilà, c'est tout.. ça calme. Ses paysages mystiques et fantastiques vous les connaissez forcément si vous avez vu l'un de ces films. Ils restent gravé comme des images de pays imaginaires incroyables. Si vous connaissez son travail, vous ne connaissiez pas encore l'homme.





- Bonjour Paul, peux-tu tout d'abord te présenter à nos lecteurs ? D'ou viens-tu et quels sont les moments marquants de ta jeune carrière ?

Hi Nicolas, à l'origine je viens d'Angleterre, mais j'habite dorénavant en Nouvelle-Zélande. J'ai fait mes premiers pas en tant qu'illustrateur, créant des peintures à l'aérosol pour des couvertures de romans puis j'ai évolué vers l'industrie des effets spéciaux dans le monde du cinéma. Le moment marquant (et de loin) fut de travailler un jour pour la saga du Seigneur des anneaux. Les opportunités comme celles-là n'arrivent pas vraiment souvent et c'était assez surprenant d'avoir été engagé pour aider à la création d'un tel univers en films.



L'oeil de Sauron - Matte Painting de Paul Campion (The Lord of the rings - The two towers)

- Tu as démarré ta carrière comme illustrateur donc. Est-ce utile pour ensuite travailler sur l'imagerie au cinéma ?

Les films sont une forme d'art visuel primaire, alors quelque soit la formation en design ou en art, c'est toujours un énorme avantage. J'ai commencé comme un artiste traditionnel, en apprenant le dessin en perspective, peindre avec des acryliques, des gouaches, de la peinture à l'eau et de l'aérosol. Etre capable de s'asseoir et de se mettre à dessiner sans avoir besoin de l'aide d'un ordinateur est quelque chose de très appréciable. J'ai passé dix ans de ma vie à faire de l'illustration donc, en essayant de créer des univers réalistes avec juste un pinceau, et de la peinture. Ce fut un sérieux avantage d'être capable d'apporter mes connaissances et mon sens de l'observation dans l'industrie du film, spécialement dans la création de textures où la capacité à analyser et à comprendre la surface d'un objet est primordiale. C'est utile aussi pour le matte painting où l'analyse des lumières et des perspectives est très importante.

- As-tu des influences d'autres artistes ?

Oui, principalement d'illustrateurs contemporains. Phillip Castle a été une grande influence lorsque j'ai débuté l'aérosol, ainsi que Chris Moore. Jim Burns et Fred Gambino pour leur travail de science-fiction. Les illustrations photo réalistes de Tim White, surtout ses couvertures des romans d'H.P Lovecraft.
Puis il y eut Michael Whelan, ses peintures fantastiques sont justes incroyablement belles. Drew Struzan, qui est célèbre pour certaines de ses affiches de cinéma, Alberto Vargas, et les robots et les pin-up d'Hajime Sorayama. Enfin, il reste les auteurs de bande dessinée, Rich Corben, Glenn Fabry, Simon Bisley et Dave Dorman. Mais les deux principaux sont Les Edwards, pour ses dessins horrifiques, et John Bolton, qui a un style unique et dont l'imagerie est à la fois superbe et dérangeante.



Saroumane et Gandalf - Décors de Paul Campion (The Lord of the rings - The fellowship of the ring)

- Tu as travaillé dans les plus grands studios créés pour le cinéma (Pinewood, Weta Digital, Tippett Studios, The Orphanage...), quels sont les meilleurs souvenirs que tu gardes de ces expériences ?

Pour le studio Pinewood ce fut très bref. Ils étaient en train de tourner le premier Batman (Tim Burton), j'étais en train de me promener lorsque j'aperçu la toute première Batmobile qui siégeait dehors. Elle est franchement impressionnante en réalité. A cette époque, la production du film était super confidentielle, et toute la presse britannique tentait d'obtenir un shoot de la batmobile justement. J'étais donc très fier d'avoir pu la regarder avant qu'aucune personne du public ne l'ait vu.
Il y a tant de souvenirs que je garde de mon travail chez WETA, mais parmi les meilleurs reste ma rencontre avec Ray Harryhausen qui vint en visite sur le tournage (je puis lui faire faire une dédicace de l'affiche de Sinbad and the Eye of the Tiger que j'avais acheté lorsque j'avais 10 ans), je pus rencontrer Sir Edmund Hillary (il est très grand...), qui vint aussi visiter le tournage du Seigneur des Anneaux.
Visiter les lieux de tournage de la tombe de Balin, ou de Minas Tirith, qui étaient spectaculaires et pouvoir admirer tous les costumes et les impressionnantes miniatures créés par Weta Workshop, fut aussi une expérience inoubliable. J'ai aussi travaillé comme figurant durant une journée. J'ai joué un archer du Gondor qui tire des flèches enflammées sur les Orcs juste après qu'ils aient catapulté des têtes dans la cité !! (Le retour du Roi).


- Quel fut ton rôle dans l'élaboration visuelle de la trilogie du Seigneur des Anneaux ? Etais-tu basé en Nouvelle Zélande ? Quelle était l'organisation autour des artistes ?

J'ai commencé comme simple peintre de textures, sur des sujets comme le Balrog, Mumakil et d'autres créatures démoniaques (Je les trouvais plus intéressant à peindre que les jolis Elfes et les gentils hobbits), puis j'ai fait quelques Matte-painting pour les deux premiers épisodes, et finalement je suis devenu responsable du département texture pour Le Retour du Roi. Nous avons signé le design de Shelob (l'arachnide) avec Gino Acevedo.
J'ai habité la Nouvelle-Zélande pendant tout ce temps, pendant trois ans et demi, en travaillant sur cette trilogie. Dès que je suis arrivé, je suis tombé amoureux de ce pays, j'ai vendu mon appartement en Angleterre et j'ai rapidement acheté une maison ici.
Pour l'organisation, c'était assez compliqué. Ce fut un projet si énorme et ambitieux. Weta était une petite compagnie qui est passé de 20 à 400 personnes, mais je crois vraiment que les héros méconnus de la réussite de ces trois films furent l'équipe micro-informatique, qui a construit ce gigantesque réseau informatique à partir de rien et qui s'est surtout chargé de le faire fonctionner tout ce temps. Pour Le Retour du Roi, il y avait plus de 400 stations de travail graphique et le plus grand moteur de Rendering (modélisation et rendu 3D) de tout l'hémisphère sud...


  
Image 1 : La monture d'un Nazgul - Image 2 : Le siège de Minas Tirith

- Sur l'image 1 (lotr1.jpg), quels ont été les techniques utilisées pour donner le look du Nazgul ? Sur l'image 2 (lotr2.jpg), quel fut ton apport ?

Le Fellbeast (les Nazguls sont aussi appelés Black Riders et ils chevauchent les Fellbeast) ont été fait à partir de nombreuses textures différentes. La partie principale du corps de la créature devait ressembler à la peau d'un serpent, noir et brillante avec un petit éclat très subtil de lumière. En dessous des ailes, ce devait être plus comme un cou de Lézard, une peau usée et fripée. Les jambes et les pieds sont basés sur ceux d'un oiseau de proie, et les ailes ont été dessinées pour avoir l'air de cuir sur la partie haute et de quelque chose de plus organique en dessous.
Le travail de design sur le Fellbeast a démarré très tôt pendant la production des films, et pas mal de "Textures painters" ont planché sur la créature. Pour Les Deux Tours, lorsque nous avons voulu retravailler les textures, Gino Acevedo (qui travaillait depuis longtemps pour Weta Workshop et avait désigné le schéma de couleur pour le Fellbeast) et moi avons abattu un énorme travail dessus. Gino s'occupait principalement du choix des couleurs, surtout pour la tête, et moi j'utilisais des textures animales pour achever le travail. Nous avons travaillé ensemble pendant des mois afin de donner le résultat final à l'écran.
Chu Tang et Jean Colas-Purier ont travaillé sur les ombres du Fellbeast, et Sergei Nevshupov a, une nouvelle fois, retravaillé les textures utilisées dans le Retour du Roi, vu que le modèle 3D principal du monstre avait été modifié.
Pour la seconde image (Image 2 - lotr2.jpg), j'ai juste peint les textures du morceau de maçonnerie qui est catapulté sur Minas Tirith.
C'était un travail assez simple, je n'ai utilisé que trois maps (repère 3D) basiques, couleurs, lumières et déplacement, cependant il existait une version réel en grandeur nature de la même pierre; je dus faire correspondre exactement les textures 3D de l'objet avec le vrai morceau de pierre.

- Quel degré de liberté avez-vous artistiquement sur un tel film ? Pouvez vous imposer votre vision sur certains points du design par exemple ?

Pour ce qui est du "Texture painting", ça dépend surtout de ce que vous texturez. Si vous êtes en train de créer le double numérique d'un personnage, alors il faut respecter au détail prêt la réalité. Le design complet est défini par les artistes du Weta Workshop, qui passent beaucoup de temps à définir le look général de telle ou telle créature. Ensuite c'est à vous de respecter cette charte imposée par les designers pour que ça colle au plus prêt de leurs visions. De toutes façons, vous devez toujours travailler sous la supervision d'un directeur artistique, d'un superviseur des effets spéciaux et en dernier recours, du réalisateur. Pour le matte painting c'est la même chose, vous devez toujours reprendre les idées de quelqu'un et leur donner vie. Il y a très peu de choses que vous puissiez rajouter...



Concept sur le visage de Shelob (The Two Towers)

- As-tu un 'à propos' particulier à raconter concernant la trilogie de l'Anneau ? As-tu aimé travailler sur ces trois films ?

J'ai travaillé un petit peu sur le double numérique de Saroumane, joué par Christopher Lee. Sur ce fameux double numérique, j'ai peint un troisième mamelon, en honneur à Scaramanga qu'il jouait dans L'homme au pistolet d'Or. Quelqu'un d'autre avait peint sur les doubles numériques des hobbits des sous-vêtements aux couleurs des drapeaux nationaux de chacun des acteurs. Bien sur, comme tous ces personnages sont couverts de vêtements, il est impossible de les voir dans le traitement final. De même, j'ai peint les trois versions du bébé porté par les réfugiés du Rohan (Les Deux Tours). L'un des bébé est Baby Selwyn du film de Peter Jackson : Brain Dead, un autre est un porcelet (qui vient d'Alice au pays des merveilles) et le troisième est normal, mais il est habillé d'un habit de Winnie l'Ourson. Ils sont tous si petits, que vous ne remarquerez pas ces détails.. mais ils existent !
Oui, j'ai adoré travaillé sur ces films. Je suis un grand fan de Tolkien et lorsque j'ai appris que les films allaient se faire, j'ai fais des pieds et des mains pour en faire partie. Je pense que l'une des raisons pour laquelle les films fonctionnent à merveille, c'est que tous ceux qui ont participé à ce projet sont des fanatiques de l'univers de Tolkien, tout le monde a travaillé dur pour rendre justice au livre. Il faudra beaucoup de temps avant de connaître un tournage d'une telle ampleur !

- Plus recemment, tu as travaillé sur le film Constantine. Les superbes effets speciaux sont une part importante pour rendre la vision de l'enfer dans ce film. Tu as fait quelques un des Matte-painting du film, un outil visuel très ancien. Y-a t'il des différences entre utiliser cette technique aujourd'hui par rapport aux années 50 ?

Bien. Il y a 50 ans, les Matte-painting été entièrement peints à la main sur des morceaux de verre, à la peinture à l'huile ou à l'acrylique. Les peintres devaient créer alors l'image à partir de rien. Ils devaient combiner paysage, photo réalisme et impressionnisme, l'aptitude de composition d'une image, et la capacité de peindre quelque chose d'irréel.
Aujourd'hui, tout est fait sur ordinateur, les matte-painters doivent posséder de nouvelles capacités, créer des images en utilisant de nombreuses photographies et souvent les combiner avec des modèles 3D pour créer des environnements numériques qui vous permettent de manipuler une caméra virtuelle.
Donc en plus de l'apprentissage des nouvelles techniques, il faut prendre en compte que dorénavant, la caméra va bouger dans ces environnement peints.



Constantine - Vision de l'enfer - Matte Painting de Paul Campion

- Peux-tu nous expliquer ce que sont réélement ces Matte Paintings ?

Le Matte painting est une technique destiné à créer de vastes paysages, ou étendre un bâtiment etc... C'est l'une des techniques d'effets spéciaux les plus anciennes. Elle fut par exemple utilisée dans des films comme celui de George Méliès, Voyage sur la Lune, tourné en 1902. Plutôt que d'engager des centaines de personnes pour construire un décor géant ou de devoir déplacer le tournage dans un pays étranger, vous pouvez juste construire une petite partie du décor, puis, faire appel à un matte-painting qui représentera l'arrière plan de la scène et le reste du paysage. Souvent les matte-paintings étaient placés sur des plaques de verres juste devant la caméra pendant que la scène était tournée. Les meilleurs Matte-painting sont ceux que vous ne voyez jamais, ceux qui sont si discret que l'on ne sait plus les différencier de la réalité.

- La technique du Matte painting semble prendre de plus en plus de place dans les productions actuelles...

Je pense qu'il y a plusieurs raisons à cette utilisation intensive de Matte Painting. Premièrement, il est désormais possible de faire à peu près tout ce que vous souhaitez avec un ordinateur, ainsi, beaucoup de réalisateurs souhaitent créer des environnements encore infaisable jusqu'alors. Deuxièmement c'est une question de coût financier. Souvent, s'il est possible de représenter numériquement un décor plutôt que de le construire, il y aura de plus en plus d'utilisation d'écran vert ou bleu (qui permettent l'incrustation d'objet numérique), spécialement dans les films de Science-fiction, fantastique et tous ces genres qui requièrent des décors coûteux.

- Le dernier projet sur lequel tu as travaillé, c'est le fameux Frank Miller's Sin City. Nous avons vu le film la semaine dernière et avons été bluffés par la qualité des effets spéciaux et le soin apporté aux décors. Tous les décors sont des images de synthèses et des Matte-painting. Peux-tu nous expliquer quel fut ton rôle sur le film ?

Sur Sin City, j'ai peint quelques uns des décors du segment "That Yellow Bastard" (avec Nick Stahl, Bruce Willis et Jessica Alba). Le look général du film est basé sur le roman graphique de Frank Miller, et l'idée était de retranscrire fidèlement l'univers graphique sur le film, quelque chose qui n'avait jamais été fait avant. Le film a été entièrement tourné sur fond vert, et tous les décors furent rajoutés numériquement. J'ai eu la chance de travailler avec Mike Pangrazio et Jett Green, qui ont travaillé longtemps comme Matte-painters traditionnels chez ILM.



Constantine - Vision de l'enfer - Matte Painting de Paul Campion

- Quel est ton but maintenant ? Toujours progresser dans le Matte-painting, ou appréhender de nouveaux aspects du cinéma ?

Je veux évoluer vers la réalisation. J'aimerais tourner des films d'horreur, de science-fiction et de fantastique, le but ultime étant de littéralement foutre les jetons aux spectateurs! Je trouve qu'il y a énormément d'histoires écrites par de jeunes auteurs talentueux, et qui n'attendent plus que d'être adaptés au grand écran.

- Quels sont tes projets futurs ?

Je viens juste de terminer une série de DVD sur les techniques de 'Texturing' pour Gnomon Workshop et je suis en train de terminer mon premier court métrage d'horreur.
J'ai une série d'histoires fantastiques que j'aimerais mettre en scène dans des courts métrages, et évidemment j'essaie de monter un projet de long métrage dans le même style.

- De ces cinq dernières années, quel a été ton film préféré ?

J'aime différents films pour différentes raisons.. et il est difficile d'en choisir un plutôt qu'un autre, mais parmi mes préférés on trouve Gladiator, Ringu, The Eye, Ju-on (la version originale), Ong-Bak, Gangs of New York, Kill Bill 1, Lord of the Rings:Fellowship of the Rings et The Devils Backbone, Das Experiment. Mon préféré est peut-être Blade 2. C'est juste un énorme film d'arts martiaux et d'action non stop avec des vampires... Vous pouvez éteindre votre cerveau et profiter du spectacle. Et franchement il n'y a pas assez de superbes ninja vampires au cinéma...

- Maintenant, la question habituelle. Si tu avais tout le budget que tu souhaites, quel film aimerais tu réaliser ??

Un paquet !! Weaveworld de Clive Barker, The Descent de Jeff Long, Dark Materials Trilogy de Phillip Pulman, The Tripods Trilogy de John Christopher, Lobo et Judge Dredd. Weaveworld est le livre qui m'a fait découvrir l'univers de Clive Barker et il est temps que quelqu'un en fasse une adaptation. J'ai entendu dire qu'une série télé allait en être tirée, mais j'espères franchement que ce sera un film. The Descent pourrait faire un excellent thriller horrifique, surtout si le côté adulte est travaillé et respecté. The Tripods était l'un de mes livres de chevets lorsque j'étais enfant.

- Merci beaucoup Paul. On espere tous te voir continuer et nous émerveiller avec des univers si fantastiques !!!!

Merci beaucoup pour votre intérêt !



Cliquez sur les illustrations de cet article pour accéder au site officiel de Paul Campion, de nombreuses illustrations de ses autres travaux (Sin City, Le seigneur des Anneaux, Constantine...) y sont disponibles.



Auteur de l'interview et traduction de l'anglais : NANO