Edito

Le 13 mars 2005, 10h00 au Normandy de Deauville.
Takashi Miike est à tort proclamé et considéré comme le cinéaste de l'extrême. Auteur de nombreux films de genre stylé et souvent violent (Ichi the Killer, Dead Or Alive, Audition), il s'est résolument forgé une réputation outrancière qui voile l'autre façade de son travail nettement plus poétique (Bird People of China), ou enfantine (Zebraman, Andromedia), frôlant parfois l'essai Passolinien (Visitor Q), ou encore le drame social (Salarymen Kintaro). Ce qui est sûr, c'est que Miike, à travers ses 75 films en 10 ans (le plus prolifique réalisateur du monde), ne laisse personne indifférent. Toujours inventif, visuellement en perpétuelle recherche, Miike a ce don d'essayer et de sublimer tous les genres qu'ils soient extrêmes ou non.


Filmographie séléctive :
- Andromedia (1998)
- Audition (1999)
- Dead or Alive (1999)
- Salaryman Kintaro (1999)
- The City of Lost Souls (2000)
- Dead or Alive 2: Birds (2000)
- Visitor Q (2001)
- Ichi the Killer (2001)
- The Happiness of the Katakuris (2001)
- Dead or alive: Final (2002)
- Gozu (2003)
- One Missed Call (2003)
- Zebraman (2004)
- Three... Extremes (2004)
- Izo (2004)



Interview - TAKASHI MIIKE



- J’ai rencontré cette année Hiroshi Watari, qui a tourné dans Zebraman, il nous a parlé brièvement de Zebraman 2. Pouvez vous nous en dire plus ?


Zebraman est un film qui fut réalisé pour célébrer le centième rôle de l’acteur Sho Aikawa. Je considère que même si le film se vend bien, au cinéma comme en DVD, je ne ferais pas un deuxième opus pour autant. Je pense qu’il faudra une meilleure occasion, peut être un deux-centièmes rôle ou quelque chose dans le genre.
Ma société de production m’a proposé de faire un deuxième opus dans la foulée histoire de compléter le premier, mais j’ai refusé dans un premier temps. Je préfère attendre.


Zebraman

J’aimerais comprendre votre manière de travailler. Des racines du projet, du choix du scénario, jusqu’au montage, votre travail avec les acteurs etc...

On dit que j’ai tourné beaucoup de films, et c’est vrai j’en ai tourné beaucoup. L’idée, c’est qu’à chaque fois que l’on me propose quelque chose, je prends toujours le temps de m’attarder sur le projet. Il y a peu de choses que je refuse sous prétexte que ça ne correspond pas forcement à ce que j’ai fais jusqu’à maintenant ou à une image ou une idéologie particulière. Par exemple si l’on me propose un film en disant « c’est un tout petit budget, on a pas beaucoup de moyen pour le réaliser mais est-ce que ça vous intéresse ? », je me dirais alors que c’est peut-être l’opportunité de faire quelque chose de nouveau. C’est certainement pour ça aussi que j’ai réalisé autant de films. Plutôt que de faire un choix par thème de films, je choisis plutôt au gré des rencontres.

- On vous décrit très souvent comme un cinéaste adepte d’une certaine violence et d’une certaine brutalité, est-ce que pour autant vous avez des réserves morales, éthiques ? Y a t’il certaines choses que vous ne filmerez jamais ?

Fondamentalement, je pense qu’on peut tout réaliser, tout montrer. Après, il y a effectivement des choses que je n’ai pas forcément envie de faire. Par exemple, filmer des enfants en plein drame, filmer des animaux en pleine souffrance, ce sont des choses qui ne m’intéresse pas vraiment. Moi-même en tant que spectateur je n’aime pas avoir une certaine compassion pour la violence que je vois à l’écran. Je n’aime pas me dire que l’humain se rassure en voyant des êtres plus faibles que lui souffrir dans un film. L’idée, c’est qu’il y ait toujours une certaine envie d’avancer, une lueur d’espoir.
Plutôt que tous ces drames sociaux et psychologiques, la violence que je montre à l’écran est une parodie. C’est une chose complètement décalée. Ces pseudos films réalistes sont, à mon sens, beaucoup plus violents psychologiquement et mentalement puisqu’ils sont vraiment ancrés dans la vie de tous les jours.

- Un peu comme les films français ??

Non, au Japon aussi il y a beaucoup de films de ce genre qui s’appuient sur cette même idée de s’apitoyer sur quelque chose, qui pour les plus hypocrites d’entre nous peuvent être des choses très rassurantes. Je trouve que c’est ça la vraie violence et ça me fait vraiment peur !


Happiness of Katakuris

- On vous prête deux projets, le premier est produit par Monsieur Dionnet et doit être réalisé en Thaïlande prochainement. Le deuxième est le projet en collaboration avec Quentin Tarantino qui se nomme Yubari Sisters. Je voudrais savoir si ces deux projets sont toujours d’actualité ?

Pour le projet avec Jean-Pierre Dionnet, c’est quelque chose qui est déjà en route depuis trois ans. Il y a toujours des divergences de point de vue et de méthode qui font que pour le moment nous sommes toujours obligé de nous accorder un petit peu avant de trouver le bon moment pour commencer à tourner. Je ne voudrais pas faire un film que je pourrais tourner au Japon avec un producteur japonais, autant faire quelque chose d’un peu plus original et différent de ce que j’ai l’habitude de faire.
Pour ce qui est du projet avec Quentin Tarantino, l’idée est de faire une sorte de pièce de théâtre qui raconterait en quelque sorte ce qui n’a pas pu être fait dans Kill Bill. Nous aimerions faire un film, le problème est qu’il y a des difficultés de droits d’auteurs etc.. c’est toujours un peu juridiquement compliqué avec Hollywood. Donc je me suis dit que si on l’adaptait au théâtre et qu’on faisait un Kill Bill volume 3, ce serait certainement plus facile. Tarantino m’a dit qu’il trouvait ça très intéressant, et nous y réfléchissons encore actuellement.
Dans Kill Bill volume 1, il y a cette petite japonaise en uniforme, Gogo Yubari, qui, dans le scénario initial, a une sœur jumelle. La sœur de Gogo est en fait enrhumé avant le combat contre The Bride, et n’a donc pas eu à participer à l’affrontement. Dans Kill Bill volume 2, elle devait réapparaître pour venger sa sœur. Le tout était beaucoup trop long et fut coupé au montage. L’idée est de pouvoir réutiliser cette deuxième sœur dans la pièce de théâtre, c’est en effet un personnage et un univers auquel Tarantino est très attaché. Donc quand je lui ai dis que l’on pourrait éventuellement faire cette pièce, il fut très emballé.

- Vous avez un univers graphique très fort. Est-ce que vous vous inspirez des jeux vidéos pour vos réalisations ?

Personnellement je joue très peu aux jeux vidéos donc je n’ai pas du tout l’impression de m’inspirer de ces derniers. Je pense plutôt que ceux qui créent des jeux vidéos aujourd’hui sont de ma génération et que cette génération de créateurs sont tous influencés par les mêmes choses. Nous avons été immergés par le même type de dessins animés ou de produits culturels étant enfants. Du coup, nous l’exprimons chacun de notre manière dans des disciplines différentes. Moi je l’exprime à travers le cinéma et d’autres à travers les jeux vidéos. Il y a peut-être des similitudes mais je ne pense pas que nous nous influençons mutuellement. Jouer aux jeux vidéos est une activité qui prend beaucoup de temps, et c’est un luxe que je ne peux pas m’offrir en ce moment. Quand j’ai vraiment envie de jouer, je demande à mon assistant de faire tous les premiers niveaux et je prend le relais au dernier moment..


Ichi The Killer

- Vous parlez de temps justement. Comment arrivez vous à faire autant films en si peu de temps ?

Il faut savoir que j’ai commencé en tant qu’assistant réalisateur et qu’à cette époque j’ai participé à de nombreux tournages. Le rôle d’un assistant réalisateur n’est pas tant de mettre en place un projet, c’est vraiment de le mener à bien sur le lieu du tournage. Du coup j’ai été habitué à travailler dans une cadence assez soutenue et maintenant je ne fais que perpétuer ce que j’ai été habitué à faire pendant mes dix premières années d’apprentissage. Pour moi, ce qui m’intéresse vraiment, c’est le tournage plus que le montage. Pendant même que je suis en train de tourner, je rencontre des gens et je suis au fait de nouveaux projets, et du coup les projets s’enchaînent, ce qui fait qu’au final je peux tourner beaucoup selon vous. Il n’y a pas de sens particulier à ce que je réalise autant, je n’ai pas envie de me démarquer ni de me distinguer en réalisant autant de films.
J’ai appris énormément de choses pendant tous ces tournages, et maintenant que je souhaite ralentir un peu la cadence, ça va certainement me servir à définir plus clairement ce que j’ai envie de faire.

- Visiblement, vous avez un intérêt prononcé pour le cinéma populaire, le cinéma de genre de votre propre pays. Par exemple, récemment dans l’édition française du DVD de Zatoichi, vous tenez un propos très motivé et admirateur. Quel rapport entretenez vous avec un cinéma plus classique ?

Je considère que le contenu d’un film peut être intéressant, mais finalement, ce qui détermine beaucoup l’affection que l’on peut avoir pour tel ou tel film c’est aussi le contexte dans lequel on l’a vu, c’est ce qui déterminera le souvenir que l’on en aura. Il y a beaucoup de films que j’ai vu étant enfant, si on veut parler de Zatoichi par exemple, que j’ai vu en me disant « Wahou ! c’est génial !! », à l’époque ça m’avait beaucoup bluffé. Quand on est enfant, on a toujours cette possibilité de se divertir d’un petit peu n’importe quoi, et c’est cette capacité à s’amuser et à s’émouvoir devant les choses qui, finalement, diminuent au fur et à mesure que l’on grandi. Les films que l’on avait vu étant enfant n’étaient pas forcément bons, mais en tous cas ils nous laissent un souvenir impérissable.
Donc, si j’aime beaucoup les classiques japonais, c’est surtout parce que ce sont des films que j’ai vu quand j’étais petit. Je n’en ressens pas une inspiration quelconque, le lien est beaucoup plus affectif, beaucoup moins réfléchi.




Interview réalisée par Nano pour CINEGENRE, en collaboration avec DVDAlliance.com, GAMEONE, HKCinemagic et Jet FM (Nantes).
Merci à Takashi Miike, Céline du Public System et surtout à Léa le DIMNA pour la qualité de sa traduction.